Le Monde

8 février 2002, page 6

 

CONJONCTURE

Le ministre, les économistes et les baisses d'impôts

 

MALINGRE VIRGINIE

 

LAURENT FABIUS boude. Le ministre de l'économie n'apprécie pas le travail du Conseil d'analyse économique (CAE), collège d'économistes indépendants rattaché à Matignon. Et ne s'en cache pas. C'est pour cette raison qu'il a refusé d'assister, le 13 décembre 2001, à la présentation d'un rapport du CAE, intitulé " Démographie et économie " et coécrit par Michel Aglietta, Didier Blanchet et François Héran. Non pas que le ministre ait une aversion particulière pour le sujet en question. Mais plutôt qu'" il voulait marquer le coup ", estime un membre du CAE. Depuis, il n'a d'ailleurs pas réussi à se libérer pour une autre date...

 

Le ministre n'a pas digéré que le CAE, pourtant censé travailler en toute indépendance du gouvernement, ait accepté de publier un rapport de Thomas Piketty, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), qui met en cause la politique d'allégements fiscaux prônée par M. Fabius (Le Monde du 16 juin 2001).

 

Guerre de paternité

 

M. Piketty, après avoir épluché les revenus et les patrimoines des Français depuis un siècle, en vient en effet à la conclusion qu'une baisse importante de l'impôt sur le revenu, principal impôt progressif en France, ferait courir à la France le risque de redevenir la " société des rentiers " qu'elle était il y a un siècle. L'économiste considère donc que M. Fabius a eu tort d'engager la baisse de l'impôt sur le revenu, et notamment de son taux supérieur. Le rapport de M. Piketty " n'est pas la partie du travail réalisé par le CAE qui est scientifiquement la plus fondée ", avait alors jugé M. Fabius. Il n'a sûrement pas apprécié non plus que Jean Pisani-Ferry, président du CAE, soutienne M. Piketty et manifeste de l'intérêt pour son travail. D'autant plus que M. Pisani était le conseiller économique de Dominique Strauss-Kahn à Bercy, avec lequel M. Fabius se livre à une petite guerre de paternité de la " gauche moderne ".

 

VIRGINIE MALINGRE