Le Monde

19 octobre 2001, page 10

 

La réforme fiscale dope le pouvoir d'achat mais réduit peu les inégalités

Selon le nouveau " Portrait social " de la France établi par l'Insee, la baisse de l'impôt sur le revenu et le versement de la prime pour l'emploi (PPE) ne suffiraient pas à réduire sensiblement les disparités de revenus entre 2001 et 2003. Ils serviraient essentiellement à soutenir la consommation

 

BEZAT JEAN MICHEL

 

ÉTUDE L'Insee a publié, jeudi 18 octobre, une série d'enquêtes qui dressent un Portrait social de la France LA BAISSE de l'IR et le versement de la PPE auraient, selon les chercheurs, " un impact positif mais assez faible sur l'inégalité des revenus et sur la pauvreté monétaire ". Ces mesures permettraient cependant de soutenir la consommation. LES TRAVAILLEURS PAUVRES sont surtout des hommes, le salaire des femmes étant souvent un appoint aux revenus des ménages. La baisse du chômage bénéficierait " davantage aux non-pauvres qu'aux pauvres ". DANS L'ÉDUCATION, le nombre des élèves a cessé de s'accroître, les jeunes diplômes sont moins nombreux et les études durent moins longtemps, les étudiants privilégiant les filières courtes. À LA RETRAITE, les femmes consacrent plus de temps que les hommes aux tâches ménagères.

 

LAURENT FABIUS l'a encore répété, mardi 16 octobre, en ouvrant la discussion sur le projet de loi de finances pour 2002 à l'Assemblée nationale : le gouvernement a fait de la baisse de l'impôt sur le revenu (IR) et de la prime pour l'emploi (PPE) versée à 9 millions de salariés gagnant entre 1 et 1,4 smic l'un des principaux instruments de sa politique de soutien à la croissance. Ce crédit d'impôt est si efficace pour maintenir la consommation, selon le ministre de l'économie et des finances, que ceux qui en ont déjà bénéficié en septembre recevront un chèque d'un montant presque équivalent (hors majorations familiales) en janvier 2002, voire en décembre 2001 (Le Monde du 18 octobre). La PPE, nouveauté dans le système fiscal français, permet-elle pour autant de réduire les inégalités de revenus ?

 

Dans le nouveau Portrait social de la France (12,04 euros), publié jeudi par l'Institut national de la statistique et des études économiques, deux chercheurs (Insee et Drees- ministère de la solidarité) apportent un début de réponse, qui ne tient cependant pas compte du doublement de la prime 2001 confirmé mercredi par M. Fabius. Après avoir évalué les effets conjugués de la baisse de l'IR et du versement de la prime - conjugués à l'amélioration des allocations logement entrée en vigueur en 2001 - sur le revenu des ménages, ils en concluent que ces réformes, d'un coût global de 72 milliards de francs en 2003 (dont 46 milliards pour l'IR), " auraient un impact positif mais assez faible sur les inégalités de revenus et sur la pauvreté monétaire ".

 

Une autre étude, relative aux travailleurs pauvres (lire ci-dessous), confirme que la prime pour l'emploi " constitue plutôt un instrument de soutien aux bas salaires qu'un instrument ciblé de lutte contre la pauvreté ", puisqu'elle défavorise notamment les travailleurs à temps partiel. Le gouvernement répliquera que ce n'était pas là son objectif, qui était au départ de rendre les emplois rémunérés autour du smic plus attractifs et de ne pas alourdir les coûts salariaux des entreprises. La PPE rétablit aussi une certaine équité fiscale, puisqu'elle permet de ne pas concentrer tout l'effort d'allégement de l'impôt sur ceux qui le paient, y compris les plus hauts revenus, dont le taux marginal de l'IR sera ramené de 54 % en 2000 à 52,5 % en 2003. S'il réduit peu les inégalités et pratiquement pas la pauvreté, le plan triennal de baisse des impôts et de triplement de la PPE d'ici à 2003 permet de " redonner de l'argent aux Français ", pour reprendre l'expression de Lionel Jospin. Et cette augmentation du revenu disponible, note l'Insee, " devrait, dès 2001, contribuer à soutenir la consommation ", qui reste aujourd'hui le seul véritable moteur de la croissance.

 

Mais qui sont les premiers bénéficiaires de ce dispositif fiscalo-social ? L'étude, établie sur la " population 2000 ", ne tient pas compte de possibles modifications de la loi, ni d'éventuelles évolutions dans la structure des familles ou les revenus des salariés au cours de la période 2000-2003. Elle indique que les prélèvements obligatoires, qui ont atteint un sommet en 1999 (45,6 %), devraient retomber à 44 % en 2003. Ces trois mesures, (mais essentiellement la baisse de l'IR) font diminuer ce taux moyen de 0,8 point cette année et de 1,6 point en 2003. Les effets des mesures Fabius sont cependant " différenciés " suivant le niveau de revenu. En valeur relative, ce sont les salariés les plus modestes qui en profitent le plus, leur revenu disponible s'accroissant de 1 176 francs (+ 2,5 %) à 1 599 francs (+ 2,7 %) en 2003; en valeur absolue, les personnes les plus aisées (plus de 205 500 francs par unité de consommation, à l'exclusion des 2,5 % de Français les plus riches) en profitent davantage avec un gain de revenu de 3 786 francs (voir tableau ci-contre).

 

La PPE et la modification du barème des aides au logement ont, logiquement, un impact important sur les foyers modestes. Ceux qui disposent de moins de 71 300 francs de revenu annuel (par unité de consommation) verraient le taux de leurs prélèvements reculer de 2,4 points cette année et de 4,3 points dans deux ans, la moitié de la baisse provenant de la PPE, l'autre des aides au logement. Seuls les ménages à revenus moyens bénéficient des trois réformes. Plus le revenu augmente et plus le rôle de la baisse de l'IR est important. Cette étude confirme ainsi les craintes d'une partie de la majorité plurielle et de l'économiste Thomas Piketty, qui pourfendent le plan triennal de baisse des impôts voulu par M. Fabius et accepté par M. Jospin.

 

" C'est la première fois dans l'histoire qu'un gouvernement de gauche baisse les taux les plus élevés de l'impôt sur le revenu ", regrette l'auteur de l'ouvrage Les Hauts Revenus en France au XXe siècle, publié début septembre aux éditions Grasset (Le Monde du 7 septembre). Il y voit, notamment, le signe avant-coureur du retour à la société de rentiers d'avant la guerre de 1914-1918. Le doublement de la prime pour l'emploi de 2001 devrait en partie rétablir un équilibre entre hauts et bas revenus, et redonner quelques couleurs " de gauche " au dispositif du ministre de l'économie et des finances. La PPE et la réforme des aides au logement, qui a notamment pour but de ne pas pénaliser les RMistes qui retrouvent un emploi, seront-elles des leviers assez puissants pour remettre certains exclus sur la voie de l'emploi et faire reculer l'exclusion ? Une chose est à peu près sûre, selon l'Insee : le taux de pauvreté, autrement dit le nombre de ménages vivant avec moins de 49 075 francs par an et par unité de consommation, n'est modifié qu'aux marges par ces trois réformes, sauf pour les ménages dont un des parents a déjà un emploi.

 

JEAN-MICHEL BEZAT