Le Monde

19 septembre 2001, page 18

 

LE PROJET DE BUDGET POUR 2002

Taux moyen d'imposition ou taux marginal, une querelle de quatre-vingts ans

 

MALINGRE VIRGINIE

 

POUR QUE les contribuables sachent enfin ce qu'ils paient vraiment au titre de l'impôt sur le revenu (IR), l'administration fiscale a innové en 2001 : sur les avis d'imposition figure en effet le taux moyen effectif d'imposition, qui ne correspond évidemment pas au taux marginal auquel le contribuable est soumis. Une manière de relativiser le poids de l'IR. Pour autant, lors des débats qu'a occasionnés la décision du premier ministre de baisser tous les taux de l'IR, la possibilité de transformer purement et simplement le barème de l'IR, en l'exprimant en taux moyens et non plus en taux marginaux, n'a pas été étudiée.

 

Il est vrai que depuis plus de quatre-vingts ans la France est une adepte des taux marginaux. C'est le Bloc national qui en est l'initiateur, dans la loi du 25 juin 1920. Le Front populaire, en 1936, tentera bien de convertir le pays, mais l'expérience sera interrompue en 1942 par le gouvernement de Vichy. Dans son livre sur Les Hauts Revenus en France au XXe siècle, récemment paru chez Grasset, Thomas Piketty consacre plusieurs pages à cette phase de l'histoire fiscale française. " Le fait d'exprimer des taux d'imposition en taux moyen permettait au Front populaire d'augmenter sensiblement le montant de l'impôt exigé des très hauts revenus, et ce sans avoir à faire apparaître des taux marginaux excessivement élevés ", explique l'économiste.

 

Léon Blum et son ministre des finances, Vincent Auriol, ont choisi un taux moyen maximal de 40 % pour les revenus supérieurs à 1,33 million de francs, bien inférieur au taux marginal, qui est monté jusqu'à 72 % dans les années 1920.

 

De plus, le barème à taux moyen " permettait au Front populaire d'augmenter la pression fiscale pesant sur les très hauts revenus sans avoir à faire de même " pour les autres revenus. En effet, il était dès lors possible d'augmenter le taux moyen s'appliquant aux revenus supérieurs à une certaine somme. Alors que, avec un barème à taux marginal s'appliquant à des tranches successives de revenus, on doit augmenter tous les taux d'imposition si on veut toucher significativement les hauts revenus.

 

" IMPÔT DE CLASSE "

 

A l'inverse - et c'est une critique qui a souvent été faite à Lionel Jospin -, la baisse des taux marginaux, même dans les tranches les plus basses, profite également aux plus hauts revenus. Un barème à taux moyen permet, lui, de cibler beaucoup plus précisément les allégements ou les alourdissements fiscaux. " A chaque fois qu'un barème en taux moyen était proposé dans l'entre-deux-guerres, les détracteurs de cette technique [dans les milieux radicaux et centristes] faisaient valoir qu'elle donnait des marges de manoeuvre trop grandes aux gouvernements en place, qui pourraient s'en servir pour imposer une véritable "tyrannie de la majorité", et que les socialistes ne pensaient en réalité qu'à établir un "impôt de classe", dans lequel un tout petit groupe de contribuables paierait pour tous les autres ", écrit M. Piketty.

 

Toujours est-il que le départ de Léon Blum, en juin 1937, et la succession de cabinets pour l'essentiel dirigés par les radicaux ou le centre droit ne remettront pas en cause cette réforme du Front populaire. Il faudra attendre le régime de Vichy et l'année 1942 pour que la France revienne aux taux marginaux. Pour les tranches de revenus supérieurs à 400 000 francs, le taux d'imposition monte alors à 70 %.

 

VIRGINIE MALINGRE