Libération
Mercredi 24 juin 1998, page 6

REBONDS
Réponse à une tribune parue dans "Libération" du 15 juin sur l'ouverture des magasins. Contre le travail de nuit, chez Virgin... ou ailleurs.

BRODY Patrick

Après avoir réussi à imposer l'ouverture de ses magasins le dimanche au nom d'un droit à consommer quasiment assimilé à l'un des droits de l'Homme, Virgin a trouvé, par la voie d'un chercheur en économie, (Tribune parue dans Libération du 15 juin 1998) des arguments économico-sociologiques afin de justifier son projet d'ouverture non stop pendant le Mondial au nom de la défense des chômeurs et des prolétaires!

Les chômeurs: M. Piketty semble ignorer que Virgin n'a jamais parlé de faire travailler des chômeurs pendant cette période, mais des étudiants et des salariés "volontaires". Et même si Virgin, ou un autre magasin, justifiait la déréglementation par l'embauche - ponctuelle - de chômeurs, faudrait-il accepter la création d'une nouvelle catégorie de salariés, surexploités, obligés de travailler la nuit, le dimanche, les jours fériés? Sans droits, sans convention collective?

La déréglementation des horaires, ajoutée au temps partiel massivement imposé aux salariés du commerce n'a jamais crée d'emplois. Au contraire, il en a supprimé. Depuis dix ans, le commerce parisien a perdu 50 000 emplois.

Les prolétaires: "Les personnes qui dénoncent avec le plus de force les conditions de travail des "petits boulots" sont aussi celles qui s'opposent avec passion à la fermeture des usines", assène le chercheur. La contradiction n'existe que dans sa tête: bien sûr, les "personnes" (en clair: les syndicalistes) se battent autant pour les ouvriers des usines que pour les exploités des services.

M. Piketty ne comprend pas que l'on se batte contre des emplois synonymes de mauvaises conditions de travail? Avec ce raisonnement, on ne se battrait plus que pour les emplois bien payés et agréables. Il ne resterait pas grand chose...

Opposer l'ouvrier attaché à la "fureur d'une machine de montage" au "vendeur de disques sur les Champs-Elysées" est particulièrement spécieux. Cette vision idyllique cache la réalité des "vendeurs de disques" à temps partiel, victimes d'horaires changeants et de bas salaires, plus proche du RMI que du SMIC.

Non, M. Piketty, les statuts et les conventions collectives n'ont pas été "donnés" mais arrachés de haute lutte par ces prolétaires que vous prenez en commisération et dont le patronat veut se débarrasser aujourd'hui, tout simplement parce qu'elle n'en a plus besoin. Le secteur de l'industrie est, lui aussi, victime de la déréglementation de la flexibilité.

Oui, les ouvriers des usines ont su s'organiser pour améliorer leurs conditions de travail et leurs salaires. Les salariés du commerce, prolétaires modernes, ont bien l'intention d'agir de même, comme ils l'ont prouvé depuis plusieurs mois en manifestant à plusieurs reprises pour les 35 heures sans flexibilité et sans précarité.

Patrick Brody est secrétaire général du Sycopa CFDT (Syndicat du Commerce de Paris CFDT).