Economiques
Economiques Chaque lundi
Rigueur ou réforme ?
Par Thomas Piketty
QUOTIDIEN : lundi 7 avril 2008

Que faut-il penser des annonces faites vendredi dernier concernant la «révision générale des politiques publiques» (RGPP) ? A dire vrai, même en accordant un regard bienveillant à l'exercice, et en épluchant minutieusement les 176 pages de documents diffusées par le gouvernement, il est bien difficile de se faire une idée - ce qui est en soi problématique, s'agissant d'une démarche supposée fondée sur la transparence vis-à-vis des citoyens. L'objectif général de la RGPP est louable. Personne ne peut s'opposer a priori à l'idée d'un passage en revue des politiques publiques, avec pour ambition de supprimer les doublons et les inefficacités, et de rendre l'intervention publique plus efficiente et moins dispendieuse. Sur la masse considérable des dépenses publiques, il serait étonnant qu'il n'en existe pas. Dans un contexte où les dépenses de retraite et de santé s'accroissent structurellement, et où l'Etat doit impérativement dégager des marges de manœuvre pour investir dans l'économie de la connaissance, tout gouvernement a le devoir de s'assurer que chaque euro de dépense publique est un euro utile. Surtout un gouvernement qui s'est soigneusement employé à vider les caisses dès le premier été suivant son arrivée au pouvoir.

Le problème est qu'il est très difficile de faire le lien entre les objectifs généraux affichés et la ribambelle de mesures annoncées par la suite. Il est d'emblée proclamé que les économies réalisées «représenteront 7 milliards d'euros à l'horizon 2011». Mais à aucun moment ce chiffre de 7 milliards d'euros n'est explicité ou décomposé, ne serait-ce qu'approximativement. Il est certes fait référence à l'idée rituelle de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique. Mais pour économiser 7 milliards d'euros, il faudrait supprimer quelque 250 000 postes de fonctionnaires à 30 000 euros par tête, ce qui n'est sans doute pas souhaitable - et en tout état de cause pas réalisable avec les départs en retraite sur la période considérée, compte tenu des chiffres généralement évoqués (25 000 départs non remplacés par an). Peut-être l'annonce fait-elle référence à un total cumulé sur trois ou quatre années, c'est-à-dire à 2 ou 3 milliards d'économies en année pleine à terme, et non à 7 milliards par an ? Mystère. A aucun moment cette question n'est évoquée dans les 176 pages de documents.

Le mystère s'épaissit lorsque l'on consulte le détail des mesures annoncées. Non seulement il n'est plus jamais fait allusion à de quelconques prévisions chiffrées d'économies budgétaires pour tel ou tel ministère ou mission de l'Etat. Mais, de surcroît, beaucoup des mesures emblématiques annoncées ne ressemblent guère à des mesures d'économies. Par exemple, on peut débattre de l'opportunité d'abaisser le plafond de revenus (de 39 698 euros à 35 728 euros pour une famille avec deux enfants) donnant accès à la file d'attente des logements HLM. On peut considérer que cela permettra à terme de mieux répartir le stock de logements HLM au bénéfice des ménages modestes. On peut aussi juger que, dans le contexte actuel de crise du pouvoir d'achat, il n'est peut-être pas urgent d'expulser une partie des classes moyennes et de les projeter dans la bulle immobilière du marché locatif privé. Mais, dans tous les cas, on comprend mal comment une telle mesure est susceptible de générer des économies budgétaires - sauf à considérer que l'Etat envisage de réduire les financements permettant d'entretenir et d'accroître le stock de logements HLM, ce que le gouvernement se garde bien d'annoncer. Et ce qui serait tout sauf bienvenu, à un moment où on devrait au contraire tout faire pour débloquer l'offre et la construction de nouveaux logements. Face à ce défi, la déduction des intérêts d'emprunt créée l'été dernier est toute aussi inefficace que les nombreuses autres aides fiscales actuelles. Ce qui n'a pas empêché Nicolas Sarkozy de défendre vendredi cette mesure dispendieuse, avec un bien étrange argument. En substance : «On m'avait attaqué en notant que les prix immobiliers étaient élevés, ils se sont effondrés depuis, donc mes détracteurs de juillet avaient déjà tort en août.» On aurait au contraire pu penser que des prix moins élevés rendaient moins urgent des subventions à l'achat. Qu'a voulu dire exactement notre président, décidément bien difficile à suivre lorsqu'il évalue nos politiques publiques ? Nouveau mystère.

Tout cela concourt surtout à conforter une impression de plus en plus répandue : en matière de stratégie économique et budgétaire, l'improvisation règne en maître au sommet de l'Etat.

Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.



http://www.liberation.fr/rebonds/chroniques/economiques/319682.FR.php
© Libération