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François Hollande, social cafouilleur à répétition

Libération, mardi 28 janvier 2014

Thomas Piketty est directeur d'études à l'Ehess et professeur à l'Ecole d'économie de Paris.

Que faut-il penser de la politique de François Hollande ? Pour avancer sur cette question, il faut commencer par bannir les termes flous et complaisants qui ont fleuri ces derniers temps. François Hollande est-il un courageux social-démocrate, ou bien un fier social réformiste, à moins qu’il ne soit devenu un opiniâtre socialiste de la production ?

On enchaîne les formules creuses, sans se soucier un instant - ou si peu - du contenu et du fond.

En vérité, s’il continue comme cela, Hollande restera dans l’histoire comme un social cafouilleur, adepte de l’improvisation permanente, et qui aurait mieux fait de réfléchir avant les élections à ce qu’il voulait faire une fois parvenu au pouvoir - et mieux encore d’en parler aux électeurs.

Résumons. Quand il devient président, Hollande commence par annuler les réductions de cotisations patronales que son prédécesseur vient de mettre en place. Six mois plus tard, il invente l’invraisemblable usine à gaz du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), qui vise à rembourser, avec un an de retard, une partie des cotisations acquittées par les entreprises un an plus tôt.

Il y a deux semaines, il accepte finalement d’envisager une suppression du CICE, et de le remplacer, d’ici à 2017, par un allègement de cotisations patronales très proche de celui supprimé à l’été 2012. Tout cela pour ça, et avec en prime les applaudissements de la presse ? On croit rêver.

Soyons clairs. Le poids des cotisations patronales pesant sur les salaires est excessif en France, et il est urgent de les alléger. Non pas pour faire un cadeau aux patrons, mais parce qu’il n’est ni juste ni efficace de faire reposer à l’excès le financement de notre modèle social sur la masse salariale du secteur privé.

Le problème de la politique menée par Hollande est double. Tout d’abord, après toutes ces hésitations, on ne sait toujours pas comment vont évoluer les taux de cotisations dans les années qui viennent. Comment vont s’articuler les allègements de charges sur les bas salaires, la fin évoquée - mais loin d’être confirmée - du CICE, la suppression envisagée des cotisations de la branche famille ? Personne n’en sait rien.

Vu l’imagination débridée dont a fait preuve en cette matière le débonnaire chef du bureau des impôts actuellement logé à l’Elysée, il y a tout lieu de s’inquiéter. Il est probable que le feuilleton durera jusqu’en 2017. Cinq ans d’incertitudes, cinq ans de perdus. Ensuite, et surtout, le vrai enjeu est de proposer un nouveau modèle de financement de la protection sociale.

Pour l’UMP, la bonne solution est d’augmenter indéfiniment la TVA. Après avoir dénoncé ce choix pendant dix ans dans l’opposition, la gauche au pouvoir a finalement décidé, elle aussi, d’augmenter la TVA au 1er janvier. Certes, moins fortement que la droite, et avec un recours plus fort aux impôts sur les revenus et sur les patrimoines (ISF, successions), ce qui n’est pas rien. Il reste que le PS a maintenant bien du mal à articuler une vision claire de la suite. La seule véritable alternative à la TVA sociale est pourtant évidente : il faut mettre à contribution de la même façon tous les revenus (salaires du privé, traitements du public, pensions de retraites, revenus du patrimoine), avec un barème progressif dépendant du niveau du revenu global.

Vu l’ampleur des cotisations patronales à transférer (au-delà des 5,4 points de cotisations famille, il y a les 12,8 points de cotisations maladie), c’est la seule solution réaliste.

Si Hollande cafouille, c’est d’abord parce qu’il dépense toute son énergie pour annuler puis reprendre (mal) le chantier des cotisations sociales déjà engagé par son prédécesseur, alors qu’il y en a tant d’autres à ouvrir. Pour que la France trouve sa place dans la division du travail du XXIe siècle, il ne suffit pas de réduire le coût du travail. Il faut avant tout investir dans la formation et l’innovation. L’absence de plan ambitieux pour nos universités, dont beaucoup s’enfoncent dans la misère, risque fort de devenir l’échec le plus honteux du quinquennat.

Mais l’exemple le plus grave de l’indécision hollandaise concerne bien sûr la politique européenne. Paul Krugman dénonçait, il y a quelques jours, les annonces de Hollande et sa responsabilité personnelle dans la catastrophique stratégie macroéconomique - à base d’austérité, de récession et de chômage prolongé - suivie dans la zone euro : «La seconde grande dépression européenne - celle des années 2010, après celle des années 1930 - va pouvoir continuer.»

Paul Krugman a malheureusement raison : le Président a fait semblant de renégocier le nouveau traité européen de 2012, mais en réalité, il n’a rien proposé de substantiel, si bien qu’il n’a fait que renforcer l’idée (fausse) selon laquelle il n’existerait aucune véritable alternative à l’austérité budgétaire. La gauche française cherche à faire croire que la responsabilité en incombe aux égoïsmes allemands. Mais elle n’a formulé aucune proposition précise d’union politique et budgétaire de la zone euro, qui seule permettrait à la BCE de mener une politique plus offensive et de nous sortir de la déflation qui s’annonce. Au lieu de perdre son temps dans des formules creuses, elle ferait bien de prendre la mesure de ses responsabilités historiques.